LANGAGE DU SPORT DÉCRYPTÉ : 2 roues de bicyclette ou repartir à vélo, au tennis
On dit qu’un match de tennis n’est jamais perdu tant que la balle de match n’a pas été gagnée, tellement ce sport est riche en rebondissements. Mais il arrive aussi qu’un jour sans ou qu’une classe d’écart transforme la partie en supplice… des roues de bicyclette !
Prendre deux roues de bicyclette, cela signifie, dans le jargon du tennis, perdre 6-0 6-0… Une manche perdue 6 jeux à 0, on appelle ça également une bulle. Mais pourquoi une roue de vélo ? Allusion à l’aspect rond et circulaire du zéro et de la roue. Et si l’on perd 6-0 6-0, cela fait donc deux roues. D’où la possibilité, humiliation supplémentaire, de repartir à vélo !
Avec un tel score sans appel au tableau d’affichage, on sent que la sentence est irrévocable et ça fait mal ! Pas un seul jeu remporté, même pas un sur son service… Et cette impression, souvent partagée par celles et ceux qui ont connu pareille défaite, de ne pas avoir existé sur le court, d’avoir été un simple faire-valoir ou encore le souffre-douleur de son, sa ou ses adversaire(s).
L’Amiénoise Olivia Cappelletti, prof de tennis à l’AAC, fondatrice de l’académie qui porte son nom et triple championne du monde par équipes en + de 35, + de 40 et + de 45 ans, n’a « pas le souvenir d’avoir pris deux roues… » Même en remontant loin en arrière dans sa carrière qui a flirté avec le professionnalisme, à la charnière des années 90 et 2000. « En revanche, quand j’étais à mon meilleur niveau, classée -30, soit aux alentours de la 60e place française, je me rappelle avoir gagné quelques matchs en mettant deux bulles. Parce que la fille était vraiment moins forte ou alors pas dedans ce jour-là » poursuit celle qui a donc connu ce sentiment indescriptible du jour où tout vous réussit. « Comme une année au Touquet où j’avais battu la Tunisienne Selima Sfar, qui était autour de la 200e place mondiale (NDLR : une joueuse qui a atteint le 75e rang WTA). Un super souvenir ! » pour Olivia Cappelletti même si ce jour-là, elle n’avait pas gagné 6-0 6-0.
Au plus haut niveau international, en 1988, une jeune joueuse d’à peine 19 ans allait marquer l’histoire des finales de Grand Chelem : Steffi Graf infligeait deux roues à la Soviétique Natasha Zvereva – et en seulement 34 minutes – pour remporter le deuxième de ses six Roland-Garros !
Un tricycle à Roland-Garros
Pire que le 6-0 6-0, il peut y avoir aussi le 6-0 6-0 6-0 dans les tableaux masculins des tournois du Grand Chelem. Sur Twitter, Jeu, set et maths a fait le calcul : on en compte seulement une demi-douzaine depuis 1968 et le début de l’ère Open. Une mésaventure vécue en 1993 par le Français Thierry Champion, qui plus est sur le Central de Roland-Garros ! Au 2e tour, il avait été atomisé par l’Espagnol Sergi Bruguera, qui allait ensuite gagner le tournoi. 6-0 6-0 6-0 en tout juste une heure, soit le temps que dure parfois une seule manche quand elle est très serrée. De quoi repartir en tricycle plus qu’à vélo !
Pour l’anecdote, Jeu, set et maths a également constaté que jamais Rafael Nadal, tout ogre qu’il soit, n’a gagné un match sans laisser aucun jeu comme miette à son adversaire, sur le circuit principal. Novak Djokovic et Roger Federer, eux, comptent respectivement un et deux succès 6-0 6-0.
Pour revenir à Amiens, et pour montrer à quel point ce parallèle entre le 6-0 6-0 et les roues de vélo est ancré dans les esprits, une réflexion récemment entendue à l’AAC : « En plus, la côte de St Fuscien, elle est raide ! » On la doit à Luc Obled, retraité et joueur de doubles, en tennis loisirs, après avoir perdu un premier set sans remporter le moindre jeu. Mais c’était avant de se ressaisir avec son partenaire, dans la deuxième manche, concédée 6 jeux à 3. Il pouvait respirer et laisser son vélo au garage…
Dans le cercle des initiés de la petite balle jaune, il faut croire qu’on apprécie les métaphores tout en rondeurs… « Faire des ronds » peut parfois être le moyen d’éviter de prendre une roue de bicyclette, en perturbant son adversaire avec des balles arrondies, voire en cloche, c’est à dire aériennes. Elles vont ralentir le jeu, se donner le temps de souffler un peu, de se replacer aussi, car cela peut éviter – ou en tous cas limiter – les balles liftées de l’adversaire qui vous prennent de vitesse. Car comme le cyclisme, le tennis est également, à sa façon, un sport de vitesse.
Vincent Delorme
Crédit photos : Léandre Leber et Vincent Delorme GazetteSports.fr