PORTRAIT : Un président pas si Tranquille
Président du District Somme de football depuis un an et demi, Pascal Tranquille a vite trouvé ses marques. La crise Covid et la récente agression d’un jeune arbitre ne lui ont pas fait perdre le goût de la formation et de la convivialité.
Il a le virus du foot dans le sang depuis son enfance dans la Somme « profonde ». À 59 ans, Pascal Tranquille porte à la fois bien et mal son nom : il dégage un mélange de sérénité et de réactivité. La réactivité de celui qui sait prendre des décisions, comme décréter un week-end sans match après l’agression d’un arbitre il y a trois mois. Et la sérénité de celui qui en a vu d’autres, comme joueur d’un club pro, le SC Abbeville dans les années 1980. Mais, amateur, il évoluait avec la réserve en D4 quand l’équipe une jouait en D2, l’actuelle Ligue 2. Puis dans sa carrière professionnelle d’éducateur spécialisé. Et enfin au District, où il a été durant vingt ans un homme de terrain connaissant les dossiers. Jusqu’à ce que Marcel Glavieux, président plus de trois décennies, laisse la place en 2020 et que la liste de Pascal Tranquille, seule en lice, fasse le plein des voix.
Cela a-t-il été difficile de succéder à Marcel Glavieux ?
Je ne sais pas bien répondre à cette question dans le sens où je ne suis pas Marcel Glavieux, je ne fais pas comme Marcel Glavieux. J’ai eu vingt ans d’observation auprès de lui. J’ai vu ce qui me plaisait, ce qui me plaisait moins, ce qui ne me plaisait pas. J’essaye de composer avec un certain nombre de choses et de personnes (il hésite). J’ai un relationnel différent parce que, quand on s’appelle Marcel Glavieux et qu’on a trente-trois ans de présidence, on peut sans doute se permettre des choses que je ne peux pas me permettre. Voilà… Je fais beaucoup de relationnel. Je suis allé voir Amiens Métropole, l’Amiens SC. On discute et on a des petites satisfactions parce que l’Amiens SC s’ouvre beaucoup plus. Par exemple, en septembre dernier, le club nous a donné 2000 places pour le choc de Ligue 2 contre Toulouse, à distribuer aux clubs. L’ASC n’avait jamais fait ça !
Une agression d’arbitre, ça gâche tout le reste
Quel bilan dressez-vous de cette saison 2021/22 pour le District Somme, la première que vous avez gérée de A à Z ?
Sur le plan comptable, il est mitigé. On a la satisfaction d’avoir quasiment atteint un record de licenciés, on est à 21 975, soit 100 à 150 de moins que la saison pré-Covid qui était une année fructueuse suite aux résultats de l’équipe de France (NDLR : championne du monde 2018). Mais mitigé car si ce chiffre est très bon, on a malheureusement une pénurie d’arbitres. Malheureusement, on a une pénurie de dirigeants. Et malheureusement on a eu une grosse agression. Et ça, pour moi, ça gâche tout le reste. Clairement, l’équipe de France peut accrocher une troisième étoile à son maillot, Amiens peut remonter en Ligue 1 ou même être européen – rêvons… -, si on a une agression d’arbitre, ça ne pourra jamais être une bonne saison.
Vous aviez pris une mesure forte début avril après cette agression que vous évoquez, d’un arbitre lors d’un match à Salouël : le week-end suivant sans match, avec le report de la journée de championnat prévue. C’était pour marquer le coup ou pour un effet dissuasif ?
Les deux ! Il faut que les gens comprennent que le football doit rester un plaisir. On en a été terriblement privé pendant trop longtemps avec la crise sanitaire et qu’est-ce que ça a appris aux gens finalement ? Peut-être pas grand-chose. J’avais malheureusement prédit que les comportements seraient complètement amplifiés après cette période où on était tous très frustrés, très enfermés, très contraints. Ça devrait être festif or, quand on s’agresse les uns les autres, quand on s’insulte, quand on va agresser un arbitre ou un adversaire, voire un partenaire… Il faut arrêter ! Le message que nous voulons faire passer, au sein du District est très clair : on ne peut pas agresser nos arbitres ! Ceux qui le feront, à chaque fois, se retrouveront devant la justice parce qu’on ira déposer plainte.
Il y a plein de disciplines qui permettent de porter des coups, de façon évidemment encadrée. Où l’on donne des coups mais où l’on en reçoit aussi, il faut le savoir !
Dans ce contexte, les réseaux sociaux sont parfois utilisés pour propager des messages haineux…
Les réseaux sociaux, c’est une modernité. Ils sont nécessaires sans doute, mais ils ne facilitent pas les choses et ont tendance à les amplifier dans le mauvais sens, à mon idée. Des gens qui veulent se retrouver pour régler leurs comptes, ça pose un double problème : le problème sportif, c’est un guet-apens. Et le problème pénal parce qu’on peut porter plainte pour avoir été menacé ou victime d’un passage à l’acte. Je pense que ces gens-là auront des gros soucis…
Mais un club aujourd’hui qui n’est pas sur Internet ou qui ne communique pas sur les réseaux sociaux, il y a un manque ?
Oui, mais encore une fois, j’ai employé à dessein le mot « modernité ». Cette modernité, j’en use et j’en abuse, je fais des photos, je dis : « je suis là, je fais ça », mais sans jamais porter de jugement de valeur sur quoi que ce soit. Le problème, c’est qu’on ne peut pas encadrer la parole des gens. Alors que beaucoup n’ont pas conscience de ce que la puissance de ce qu’ils disent ou écrivent peut provoquer.
En tous les cas, pour moi, cette agression ne va pas dans le sens de la fête tel que je l’entends et comme on a envie de le partager avec les valeurs du sport. Souvent, on oppose le football à d’autres sports mais je pense que tous les sports sont vertueux et permettent d’être bien dans son corps, bien dans sa tête, ça c’est important ! Après, savoir si le foot est plus vertueux qu’une autre discipline ou pas pffff… Je pense que quand on prend du plaisir à faire une discipline, peu importe la discipline. L’important, c’est le plaisir qu’on prend en sachant que les professionnels ont peut-être moins de plaisir parce que c’est leur métier. Mais ça fait partie aussi de leurs avantages. On ne peut pas avoir les avantages sans les désagréments.
Là, dans le cadre de l’agression du 2 avril dernier, l’arbitre victime et le joueur en cause sont très jeunes…
Souvent, c’est plus l’entourage qui peut faire que les choses se pervertissent ou se délitent. Il faut juste quand même avoir conscience d’un chiffre : il y a 2 200 000 licenciés football en France et seulement 1000 joueurs pros. Donc il suffit de faire la différence pour calculer les chances d’un jeune d’arriver tout en haut…
Votre mandat, qui a débuté fin 2020, court jusqu’à l’été 2024. Donc vous êtes presque déjà à mi-mandat. Le temps passe très vite…
Trop ! Vu tout ce que l’on a envie de faire… Il y a sans doute des choses que l’on n’aura pas le temps de faire. Ce que l’on va arriver à faire sur ce mandat, j’espère, c’est garantir les mêmes retours pour l’aide aux clubs. Garder le même montant, 100 000 € par an. On va aussi mettre en place une soirée pour les bénévoles, j’en croise beaucoup. On va leur offrir un spectacle. Tous les clubs du département seront invités. Ce sera une première. On va mettre à l’honneur nos bénévoles. Réformer peut-être le système de médailles, fait jusque là en catimini, pas très respectueux des gens qui passent de nombreuses heures pour leur club. C’est transparent, chaque section fait remonter les dirigeants qui ont de l’ancienneté par exemple, il y a des critères : 5 ans, 10 ans, 15 ans et plus. Mais il y a tellement de bénévoles sans lesquels le football ne serait pas ce qu’il est. Mais la crise du bénévolat ne touche pas que le football. Même si chez nous, c’est relativement ingrat. Personne ne fait de cadeau aux bénévoles. Dans les clubs, ils ne sont pas forcément bien traités par les joueurs, qui peuvent les mépriser, laisser des vestiaires sales et dire que c’est pas leur problème. Eh bien si, c’est un problème ! C’est un endroit où ils vivent en groupe, ils pourraient peut-être faire quelques efforts, non ? Ils se prennent parfois pour des pros en s’entraînant une demi-fois par semaine ! C’est un peu risible.
Les clubs pensent par ailleurs qu’on abuse un petit peu sur la tarification qu’on leur impose. C’est un cadre réglementé. Quand on prend sa voiture, si on respecte le code de la route, les limitations de vitesse, on n’est pas flashé ! Les clubs, s’ils ne sortent pas du cadre, ils peuvent savoir à l’euro près combien ils vont payer dans la saison. Après, s’ils prennent des cartons, s’ils ne viennent pas à l’assemblée générale du District, ils ont des amendes, c’est obligatoire. Le cadre existe pour tout le monde.
Je rêvais d’être pro. Mais il fallait du talent…
Quelles sont les mesures prises ou à prendre pour aider les clubs qui ont du mal à survivre, notamment en zone rurale ?
C’est à eux de formuler un projet. On ne peut pas s’immiscer dans la vie d’un club. En revanche, le club qui nous dit : « on aimerait faire ça, comment y arriver ? », on va l’aider, l’accompagner. C’est notre vocation. Je suis très attaché à ce que chaque village ait son club, j’ai grandi à Allery et je me disais, gamin : « quand je serai vieux, j’irai voir les jeunes jouer au foot » le dimanche après-midi. J’ai fondé l’AS2A en 2001, un regroupement avec Airaines, un match chez l’un, un match chez l’autre. C’est bien ! Il y a plein de villages, il n’y a même plus un bistrot… La vie sociale ne se passe plus autour du stade comme avant.
Et parfois parce que certains clubs refusent de fusionner avec leur voisin ?
Ça peut arriver, oui. Maintenant, les présidents de clubs, comme un président de District, existent parfois à travers leur fonction et peuvent avoir du mal à lâcher ou à se dire : « pourrait-on faire autrement ? » Il faut un projet, il faut les hommes, les volontés et voir plus loin que demain. L’avenir du club dans dix, quinze ou vingt ans. Et là, tout est possible. Si on a le projet de jouer en Régional, il vaut mieux une grosse structure, avec de la formation solide pour alimenter l’équipe 1ère. La clé, c’est la formation, des arbitres, des dirigeants, des éducateurs et des joueurs. Pour parler de l’ESC Longueau, elle évoluait dans un groupe de R1 avec trois grosses écuries. J’espérais fortement qu’Abbeville, Longueau ou Camon monte en N3. Du moment que c’est un club de la Somme, je suis heureux. Malheureusement, Abbeville descend, pour X raisons. Longueau se renforce apparemment pas mal, il y a un changement d’entraîneur, sans doute un changement de méthodes. Sébastien (NDLR : Léraillé, l’entraîneur longacoissien) a fait cinq ans, ce qui est bien à ce niveau-là. Et à l’aube de la réforme des championnats seniors, c’est bien qu’ils soient au dessus, parce qu’au pire, ils seront toujours en R1 dans quelques saisons. Je leur souhaite de se maintenir. Parce qu’en R1, avec la réforme, certains clubs vont risquer de se retrouver à l’étage en dessous, ça peut aller très très vite…
Sur un plan plus personnel, le jeune Pascal Tranquille rêvait à quoi du côté d’Allery et d’Abbeville ?
D’être pro, mais il fallait du talent. Une journée sans foot pour moi, c’est compliqué. Président de District ou autre chose, mais en lien avec le foot. Mais président, j’ai bien conscience que c’est très éphémère. Et je pense qu’il ne faut pas que ça dure.
En revanche, je me serais bien vu rester longtemps au SC Abbeville, où j’ai joué défenseur, en réserve en D4. Je m’entraînais parfois avec les pros dans les années 80 en D2. Par exemple devenir directeur sportif, mais malheureusement en 1990, le club est redescendu sans statut pro et ne m’a rien proposé.
Je me suis toujours amusé, je continuerai. Je suis bientôt en retraite de mon activité de directeur d’établissements médico-sociaux et j’étais éducateur spécialisé de formation. J’espère que mon petit-fils, qui va avoir deux ans, jouera au foot, que je pourrai l’entraîner. J’ai eu cinq enfants, un qui est plutôt basket, mais sinon ils aiment le foot, comme mes deux filles d’ailleurs ! Et c’est ma dernière qui a joué le plus longtemps au foot.
Justement, comment évaluez-vous la situation du foot féminin dans la Somme ?
On peut toujours faire mieux, sinon on ne progresse pas. On se développe, on est ni en avance ni en retard, on est à la bonne vitesse mais il va falloir résoudre une équation, surtout en milieu rural parce que dans les villes, pas de souci, il y a les structures conséquentes. Comment on fait pour emmener la gamine dans son club qui est à dix km ? Il y a un schéma à repenser, à affiner. Que les clubs de temps en temps abandonnent un peu leur esprit de clocher, en se disant : « mon joueur ou ma joueuse va trouver mieux ailleurs. » C’est pas grave, ils reviendront. Mais pour les filles, il n’y a pas encore suffisamment d’équipes féminines. C’est un peu le résumé de ma trajectoire, je suis parti d’Allery et je suis revenu une fois qu’à Abbeville, ça n’a plus été… J’ai gardé une âme d’éducateur et d’entraîneur d’équipes, c’est à dire que la victoire ne me satisfait pas, parce que je sais qu’elle ne tient parfois qu’à un fil. Et je sais que dans la défaite, on a bien souvent plus de sources de satisfaction parce qu’on sait ensuite comment il faut travailler. J’aime rester à un endroit et voir passer des gens, les former, en lien avec un entraîneur qui souvent ne fait que passer.
Cette fonction de président de District vous ouvre-t-elle l’appétit vers d’autres fonctions plus élevées dans le football ?
Oui, bien sûr ! Entraîner des petits (rires). Je ne suis candidat à rien, pas attiré par le pouvoir et les hautes sphères. Je peux discuter avec M. Le Graët, le président de la Fédération comme avec Aline Riera (NDLR : ex-joueuse internationale, consultante Canal + et trésorière du Comex) et d’autres personnes du Comex (NDLR : comité exécutif de la FFF). Je l’ai fait à Beauvais samedi dernier, en marge du match féminin France – Cameroun. On a échangé très librement. Je ne revendique rien, mais c’est intéressant qu’ils puissent entendre les présidents de Districts et les gens de la France d’en bas. Que ce ne soit pas uniquement des décisions « descendantes » mais qu’on puisse faire remonter quelques idées du terrain, sur la réalité de nos clubs.
Les clubs amateurs ne sont pas assez entendus, à votre avis ?
Si. En tous cas par les personnes avec qui je discute, mais ce ne sont peut-être pas les bons interlocuteurs. Je sais que quelqu’un comme Jean-Michel Aulas (NDLR : président de l’Olympique Lyonnais depuis 1987, membre du Comex et représentant de la FFF au CA de la LFP) se soucie par exemple beaucoup du foot amateur. C’est un acteur, il sert de paratonnerre pour son club mais quand il a sa casquette fédérale, c’est quelqu’un de terriblement normal, accessible. Avec sa casquette club, on peut le juger autrement mais il sait ce qu’il fait. Marc Keller (NDLR : président du RC Strasbourg depuis dix ans) pareil. Ce sont des gens avec qui on peut avancer et même rigoler ! Marc Keller a invité récemment des représentants de la Ligue des Hauts-de-France à Strasbourg. On a discuté, en petit comité. Il m’a expliqué des choses sur le fonctionnement de son club et on a parlé du football rural.
Pour moi, de toute façon, les « petits clubs », ça n’existe pas ! J’ai envoyé un mail à tous les clubs la semaine dernière avant notre AG pour leur dire la chose suivante : je comprends tout ce que vous dites, chacun a une voix. S’ils viennent, ils s’expriment, chacun pèse une voix. Mais s’ils ne viennent pas, ils ont zéro voix, donc ils ont tort. Et ce serait dommage. On a eu plus de 60% des clubs présents.
À la rentrée, on leur demandera deux soirées de présence sur deux semaines, pour chaque club. Et on a quatre secteurs dans la Somme donc je ne serai jamais chez moi pendant deux semaines. J’ai toujours mis un point d’honneur à aller discuter avec les clubs. Pour le mandat à venir, si on se représente avec ma liste en 2024 et qu’il y a une liste en face, c’est qu’on n’aura pas bien travaillé. Donc on ne peut pas se reposer, il faut travailler. Je fais ce que j’ai à faire en mon âme et conscience. Je connais le jeu de la démocratie : si les gens ne sont pas contents, ils choisiront quelqu’un qui viendra avec d’autres idées et qui, j’espère, fera progresser le District là où nous n’aurons pas su le faire progresser. C’est tout le mal que je souhaite au football départemental.
Propos recueillis par Vincent Delorme
Crédit photos : Vincent Delorme – Gazette Sports
ARBITRAGE – Théo Boucher : « Je ne suis pas le seul » - GAZETTE SPORTS LE MAG
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