FOCUS CLUB : Les « spectatentaculaires » supporters de l’ASTT
Plongé dans les profondeurs de la Pro B, telle une pieuvre (symbole du club instauré en marge de cette saison) dans l’océan, l’Amiens Sport Tennis de Table a finalement regagné la surface en se maintenant pour une sixième année consécutive en deuxième division française. Une performance que l’on doit aux joueurs, à l’entraîneur, mais également aux cordes vocales mises à contribution de ses dévoués supporters.
Rares sont les ambiances comparables à celle de l’ASTT dans la sphère du tennis de table français. Pour comprendre la genèse de cette effervescence, il faut remonter en 2019 et à la création du kop Labaume, lorsqu’Amiens jouait en play-offs sa montée en Pro B. Un point de départ idéal gravé dans la mémoire de Nathan Sellier, l’un des créateurs de ce groupe de supporters : « Tout de suite on s’est dit que c’était incroyable. Les joueurs étaient surexcités, ils étaient fous avec nous. On était une dizaine dans un minibus. On avait fait six heures de route pour rentrer, on avait chanté pendant les six heures. »
Une escapade normande représentative de tout le chemin parcouru
Une demi-décennie plus tard, le minibus a été troqué contre son modèle grandeur nature. Dans l’impasse, les Amiénois jouaient leur survie en Pro B sur une double confrontation. Lors du match aller qui se jouait à la maison, « on a réussi à mobiliser énormément de monde » se réjouissait Arnaud Sellier, entraîneur de l’équipe, qui a en plus de cela vu les siens triompher. Une prestation à confirmer deux jours plus tard, cette fois-ci chez leurs adversaires normands. Ces derniers ne s’attendaient certainement pas à voir débarquer dans leur salle, autant de personnes à fond derrière Amiens. Une cinquantaine de supporters avaient en effet pris la route, direction Saint-Pierre-lès-Elbeuf, pour la plus importante rencontre de la saison : « On a réussi à ramener un bus ici, avec une ambiance de dingue. Pour le club, c’est bien de créer des moments conviviaux comme ça. » Une journée inoubliable où en plus de s’être maintenu, l’ASTT s’est mis en lumière dans un sport où en France, la plupart des acteurs se connaissent.
Il n’y a que du positif à en tirer pour les Samariens qui mettent un point d’honneur à accroître l’attrait de leur club, comme l’expliquait Arnaud Sellier : « On y travaille tous les jours. C’est ce qu’on essaye de développer, cet esprit club familial. Après, il y a beaucoup de gens de ma famille (rire). »
« Rare », c’est le mot employé par l’entraîneur amiénois et son fils cadet pour décrire l’ambiance unique dans l’antre Labaume le jour des matchs. C’est également celui utilisé par Denis Dorcescu, joueur français qui a rejoint l’équipe cette saison : « Il y a des clubs où il y a de la ferveur, de l’ambiance, mais là ce qu’ils font est assez exceptionnel. Il ne faut vraiment pas prendre ça pour acquis et leur dire un grand bravo. » Lui qui précédemment évoluait dans les divisions inférieures a pu constater le fossé entre l’engouement à Amiens et les salles qu’il a eu l’occasion de fréquenter, « même si lors des matchs de Pro que j’ai vu, il y avait du monde, que ce soit à Rouen ou Montpellier, là, c’est un club de foot. » Cependant parfois, casser les codes n’est pas au goût de tout le monde : « Une fois il nous est arrivé d’aller à Nantes où on s’est fait engueuler parce qu’on faisait trop de bruit, racontait avec un peu d’incompréhension Nathan Sellier. À Issy-les-Moulineaux aussi. Des fois, les gens disent : ce n’est que du ping-pong les gars. »
Pourtant dans le sport, quel qu’il soit, avoir un public acquis à sa cause est un soutien non négligeable. Cela, l’ASTT l’a bien compris et les joueurs ont l’air d’apprécier, comme Denis Dorcescu : « Ça fait trop plaisir quand tu es joueur d’avoir ça derrière. Moi j’adore et tous les joueurs de l’équipe aiment bien, franchement c’est top. » Même son de cloche pour l’un des principaux artisans de la création du kop amiénois : « Ils adorent ce qu’on fait et on est là pour eux. La relation est très bonne, tout le monde se connaît bien. Il y a des joueurs qui aiment bien, d’autres moins. Cette année, les quatre sont à fond. Les deux Français (Denis Dorcescu et Laurent Cova, ndlr), quand il y a de l’ambiance ils jouent à 300%. Santiago (Lorenzo, ndlr) est Argentin donc forcément les grosses ambiances comme ça il adore. Tobias (Rasmussen, ndlr) est maintenant habitué et il kiffe aussi. » Il ne reste plus qu’à savoir si, Benjamin Fruchart et Nicolas Burgos, les deux nouveaux « los pulpos » qui intègreront le groupe la saison prochaine afin de pallier les départs de Laurent Cova et Tobias Rasmussen feront aussi partie de ceux qui se transcendent lorsqu’ils sont acclamés.
En outre, il ne faut pas non plus sous-estimer l’impact que peut avoir une telle ambiance sur les adversaires qui font le déplacement à Amiens : « Dès qu’ils viennent, ils sont toujours surpris et en plus des joueurs, il y a le public qui est contre eux. C’est une pression mentale dont ils n’ont pas l’habitude. On fait ça pour ça, on est habitué et on va continuer de le faire l’année prochaine » assure Nathan Sellier.
À bas les ambiances de cathédrale !
À l’aube des Jeux olympiques de Paris 2024, un « effet Lebrun » est en train d’insuffler un nouveau souffle à la discipline dans tout l’hexagone. La capitale picarde ne fait pas exception, c’est pourquoi la Salle Labaume accueille de plus en plus de spectateurs, allant des simples curieux aux fervents supporters. À la différence que « ce n’est pas que pour du ping que tu viens voir des matchs à Amiens, c’est pour l’ambiance et tout ce qu’il y a autour » affirme Nathan Sellier. Celui-ci est convaincu que l’émergence de ferveurs comparables à celle de l’ASTT un peu partout serait essentielle pour le développement du tennis de table, « il y a une expression qui est maintenant connue dans le ping, c’est : il faut arrêter de jouer dans une cathédrale. »
Alexis Vaury
Crédit photo : Louis Auvin / Kevin Devigne – Gazette Sports (archives)