PORTRAIT : Matthieu Bataille, un judoka champion du monde désormais arbitre international, qui veut : « Toujours aller de l’avant et ne jamais rien lâcher ! »

En marge de la deuxième journée de Judo Pro League opposant l’équipe des Hauts-de-France à l’OM Judo, le colosse jovial Matthieu Bataille animait une séance d’entraînement à destination des benjamins aux cadets de l’ASC Judo. Le judoka qui a tout remporté à l’exception des JO, est maintenant le meilleur arbitre européen. A cette occasion, il a accepté de répondre à nos questions.

Du haut de son mètre quatre-vingt-dix, il fait figure de géant au milieu des jeunes du club de l’ASC Judo. Sa venue est un petit événement car il est tout de même 6ème dan de judo, champion du monde par équipe en 2011, champion de France en 2003, 2004, 2007, champion d’Europe en 2004, médaillé de bronze aux championnats du monde en individuel en 2007, 2008, 2010, élu meilleur arbitre européen fin 2023 et actuellement 6ème arbitre mondial. Tant d’accolades pour un géant du judo français qui a su transitionner vers l’arbitrage après sa carrière en tant qu’athlète professionnel.
« Pour nous, c’est surtout une chance pour les enfants de côtoyer un judoka qui a connu le haut niveau, avec une grande expérience du judo et un grand savoir technique », nous évoquait Marc-Antoine Dambrine, dirigeant de l’ASC Judo. « En plus de ce qu’ils peuvent apprendre au quotidien, c’est une expérience supplémentaire. Ils peuvent accéder à des connaissances exceptionnelles via Matthieu. Il a connu le judo mondial à la fois en tant que sportif et en tant qu’arbitre, il a donc un savoir et des connaissances qui sont très enrichissantes pour le jeune public. »
Après l’entraînement, le Sensei du jour s’est volontairement présenté devant les enfants et a répondu à l’ensemble de leurs questions. Un véritable moment de partage où il a pu donner des conseils et conter ses déceptions, ses joies, ses rencontres mémorables ainsi que sa façon de vivre le judo.

Matthieu Bataille : « J’ai battu Teddy Riner en 2007 »

Séance de questions réponses à la fin de l’entraînement

« J’ai commencé le judo jeune, à 6 ans avec mon frère à Étaples-sur-mer. C’était un petit club » nous raconte Matthieu Bataille. Son premier succès était la victoire aux Championnats de France junior en 1997, suite à cela, il a eu l’occasion d’intégrer l’INSEP. « J’ai tout de suite foncé parce que c’est peut-être la seule occasion que j’aurai eue. J’ai dit oui tout de suite. » Sa longue carrière de 15 ans au service de l’équipe de France n’a pas été sans problèmes : « J’ai eu pas mal de soucis de blessures durant ma carrière, mais une carrière de haut niveau n’est jamais facile. Je pense que ces pépins physiques m’ont forgé le mental et m’ont permis de revenir plus fort à chaque fois pour essayer de reprendre ma place et de ramener des médailles mondiales, européennes… » Comme il l’expliquait aux jeunes pousses de l’ASC Judo : « On apprend plus dans l’échec que dans la victoire. On évolue en apprenant de nos défaites et de nos erreurs. Il faut analyser ces facteurs. Il faut de la résilience. » Cette façon de penser se retrouve dans sa devise : « Toujours aller de l’avant, ne jamais rien lâcher ! »
Cette mentalité lui a permis de battre Teddy Riner en finale des championnats de France en 2007 et d’aller chercher la victoire en 2011 en quart et en demi-finale des championnats du monde. Remplaçant un Teddy blessé, toute la pression était sur lui. Avec le soutien de Bercy, il élimina d’abord le Russe Sterkhov en quart puis le Japonais Kamikawa pour qualifier la France en finale face au Brésil. Même si le Français n’était favori dans aucune de ces confrontations, il a su répondre présent dans ces moments importants. Avec le retour de Riner, M.Bataille retournait à son poste de remplaçant, mais, sans lui, le parcours doré de la France n’aurait peut-être pas eu lieu.

Toujours aller de l’avant, ne jamais rien lâcher !

Matthieu Bataille

De judoka à arbitre de judo, une sollicitation de Marius Weisser, président de la Fédération Internationale de judo.

C’est une transition qui s’est faite de fil en aiguille. L’arbitrage n’était pas dans ses plans. L’ancien gardien de la paix et actuel éducateur sportif à Etaples et au Toucquet s’est vu proposer une formation accélérée en 2017 : « L’arbitrage n’était pas prévu à la base. C’est le président de la Fédération internationale de judo, Marius Weisser, qui avait proposé un cursus plus rapide pour les anciens médaillés mondiaux ou continentaux. »
On pourrait penser qu’en tant que judoka de haut niveau la transition vers l’arbitrage serait facile, mais ce n’est pas le cas : « Je suis l’un des rares pour qui ça a marché. C’est un peu une fierté, quand même ! »
En effet, il précise : « C’est un rôle différent, il faut être à l’aise au milieu du tapis en tant qu’arbitre. Parfois, il faut donner une décision instantanée où on a à peine une seconde de réflexion. On doit réagir très vite et faire le bon choix. C’est à nous de diriger le combat, de bien se placer, de donner notre avis, mais il y a aussi beaucoup de travail derrière ! Je n’ai pas réussi juste en mettant le costume (rires) ». Une nouvelle façon d’apprendre le judo par le biais de l’arbitrage. Un nouveau départ avec une chemise blanche : « J’ai dû regarder des vidéos, les déplacements des arbitres, c’est d’ailleurs ce dernier point qui m’a posé le plus de problèmes ! En tant que combattant, je savais que je devais rester dans le centre de la zone de combat et je ne me souciais de personne. Mais désormais, je devais faire attention au placement des sportifs afin d’être dans le bon angle pour tout voir en cas de chute. En fonction de là où on se situe, on peut voir un score ou rien du tout. Mais avec le travail, on y arrive ! »
Ses débuts en tant qu’arbitre l’ont un peu déstabilisé : « Au début, me retrouver sur le tapis de compétition en tant qu’arbitre et non judoka était bizarre. » Mais il a su s’imposer parmi les meilleurs arbitres mondiaux grâce à ses 40 années de pratique du judo : « Mon savoir me permet de voir les intentions des participants, par exemple sur une phase au sol, certains arbitres diront mate et arrêteront le combat trop tôt. Comme je connais un peu le judo, je sais ce que les lutteurs veulent faire. » Il sait utiliser son passé en tant qu’athlète de haut niveau pour perfectionner son arbitrage : « Ayant été un petit roublard durant ma carrière, j’arrive à les repérer maintenant ! (rires) Comme dans tous les sports, il y a de la tactique. C’est à nous de trouver le bon équilibre et d’arbitrer le plus simplement possible. Moins on voit l’arbitre, mieux c’est ! »

Son expérience aux Jeux Olympiques de Paris 2024

Déjà arbitre aux Jeux Olympiques de Tokyo en 2021, il était de nouveau sélectionné pour ceux de Paris en 2024. Ayant fait les JO à la fois en tant que membre de la délégation française et en tant qu’arbitre il nous avoue : « La préparation est beaucoup moins physique (rires). Je l’aborde comme quelque chose de sérieux, je peux faire basculer un match à tout moment. C’est important d’avoir la bonne lecture. » Huit jours d’arbitrage intensif où sa prestation est scrutée par des millions de personnes : « Le plus dur sur des compétitions comme les JO, c’est l’absence de pauses. Nous y sommes en continu. Nous partons à 8h00 de l’hôtel et nous rentrons à 20h30. On arbitre 5/6 combats par jour alors que, sur un championnat du monde, on en a une petite quinzaine. Nous avons plus de pression de par l’importance des JO, nous nous devons de bien faire !« 
Mais cette pression n’était pas difficile à gérer pour l’ancien champion du monde par équipe en 2011, auteur d’une performance encore saluée par le peuple français : « J’avais un pincement au cœur parce que quand j’étais sur les phases finales, il y avait beaucoup de public qui m’applaudissait. »
Cet accueil à bras ouverts de la part des spectateurs de l’Arena du Champ-de-Mars le rendait nostalgique, mais aussi heureux : « C’était une fierté et cela me rappelait mes souvenirs d’athlètes où, quand je montais sur le tapis, j’étais applaudi. Même si je ne peux pas leur faire signe et leur dire merci, au fond de moi, j’avais très envie de le dire. Quand j’en ai l’occasion, je les remercie, notamment via les médias. Cela fait toujours plaisir d’être accueilli sous une pluie d’applaudissements. »

Une montée en grade comme superviseur de judo pour Matthieu Bataille

Finalement, après sept années en tant qu’arbitre international, il devient désormais superviseur. « Je vais diriger un tapis, je pourrai agir en cas d’erreur de la part d’un arbitre ou suite à une mauvaise décision. Ce sera mon rôle d’intervenir avec les vidéos à ma disposition pour l’aider. Le but est de les assister. C’est un travail d’équipe. Moins j’intercédrai mieux c’est, mais je le ferai en cas de force majeure ».

Un nouveau chapitre pour lui, qui n’en a pas encore fini avec le judo.

Interview : Cyprien Baude et Léandre Leber
Rédaction : Cyprien Baude et Léandre Leber
Crédit photo : Léandre Leber – Gazettesports.fr

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