PORTRAIT – François Désérable : « Mon cœur est Gothique »

Du haut de ses 75 ans, François Désérable a grandi avec les Gothiques d’Amiens. Il aura (presque) tout vu avec cette équipe dans laquelle il a été joueur, entraîneur, dirigeant, un peu historien, bénévole, mais il en est surtout passionné. Une passion, entretenue pendant une trentaine d’années.

« Marié, retraité, quatre enfants, trois petits enfants, 75 ans, que dire encore ? » Voilà comment se présente François Désérable, un homme aux multiples casquettes pour les Gothiques d’Amiens. De joueur à entraîneur, en passant par la case dirigeant et celle d’historien, il aura grandi avec ce club qu’il rejoignait à l’âge de 19 ans. Son visage, peu connu des supporters actuels, mais reconnu par les mordus, continue de briller quand il aborde son sujet préféré : le hockey sur glace. Une passion qui lui est venue à l’âge de huit ans, en compagnie de son frère : « Quand la Hotoie était gelée, je faisais de la glisse, si je puis dire, avec des patins que l’on fixait sur les chaussures de ville. Mon frère à vélo, avec une ficelle, me tirait. La sensation de glisse était là ! Durant les vacances, j’allais tous les jours à la patinoire de Saint-Gervais pour patiner. » Cette sensation combinée à un « émerveillement en tant qu’enfant de voir un palet qui rebondit sur les bandes et les joueurs qui passent derrière le gardien de but«  l’ont amené vers la pratique du hockey sur glace. Dans la famille Désérable, la glace est une passion. Son père a découvert le hockey durant son service militaire à Colmar, un de ses frères est champion de France junior, tandis que sa sœur était juge internationale de patinage artistique. Un de ses enfants, François-Henri Désérable, n’a pas échappé à ce virus, pratiquant également le hockey sur glace avant de devenir un écrivain à succès.

Je suis le seul joueur à avoir joué au plus haut niveau sans avoir joué dans les catégories mineures !

François Désérable

« Ce qui m’intéressait, c’était le fait de jouer. Je suis donc devenu dirigeant pour me permettre de jouer. » L’Amiénois n’a pas évolué au sein des catégories d’âge classiques et pour pouvoir évoluer sous l’uniforme des Gothiques, il a intégré le comité du club. La saison 1969/1970 était une année de découverte. La suivante, « les dirigeants avaient tellement honte de nous, et a raison, qu’ils ne nous ont pas engagé en championnat ! » Il aura fallu trois années pour que les Gothiques quittent le championnat de deuxième série pour intégrer la Nationale B : « C’est là où on a commencé à réellement jouer. Notamment, grâce au joker que nous avons récupéré : Dave Henderson. » Décrit comme un « petit Canadien qui ne parlait pas un mot de français » par François Désérable, il entrera dans la légende des Gothiques à la suite d’une carrière impressionnante. Concernant sa carrière en tant que joueur, l’homme de 75 ans ajoute : « Je suis le seul joueur à avoir joué au plus haut niveau sans avoir joué dans les catégories mineures ! C’est une fierté !«  Il conservera sa passion pendant une trentaine d’années, simplement grâce au jeu. « Si je le pouvais, je jouerais encore, mais j’ai un problème de pied qui fait que je ne peux pas patiner. Entraîner m’a beaucoup plu également ! Notamment les tout petits. »

Les yeux pétillants de l’ancien entraîneur

L’œil de F.Désérable pétillait au moment de parler de son passage en tant qu’entraîneur auprès des jeunes, une expérience qui l’a mené à remporter deux titres de champion de France avec la catégorie poussin, qui a disparu depuis. Cette génération s’en ira, avec lui, au Canada, pour participer au tournoi international Pee-Wee de Québec : « C’était un moment extraordinaire, se souvient l’ancien entraîneur avant de poursuivre : Parlez-en à Antoine Richer, à tous les joueurs, ils gravitent encore autour du club ». Parmi ces jeunes pousses; passées sous le mentorat de François Désérable, on retrouve Jean-Paul Farcy, Christophe Caron, William Fourdrain ou encore Dominique Testu, une génération qui a formé « le noyau de joueurs qui nous a permis de grimper en Nationale A, qui est aujourd’hui la Ligue Magnus. » La formation est sans doute la chose la plus importante pour l’ancien joueur : « Je suis partisan de la formation. Il n’y a que ça pour faire avancer les choses. »

Le hockey, il a changé

L’Amiénois est conscient que « le niveau a considérablement augmenté. » Cependant, il regrette « qu’il y ait trop de joueurs étrangers. Si on veut développer le hockey français avec une équipe nationale qui puisse se qualifier pour les Jeux olympiques ou les championnats du monde, il faut que l’on ait des joueurs sur la glace ! » Actuellement, un club doit avoir au minimum 11 joueurs formés localement et « ce n’est pas suffisant ! On devrait en avoir 15. » Si on prend l’exemple des Suisses, qui ont un très bon niveau international, les clubs ont une limite de deux étrangers. « Il faut que l’on réduise à cinq, peut-être même quatre. » Pour le Picard, cette réduction permettrait d’attirer de « meilleurs joueurs qui ne sont pas formés localement, qui tireront les Français vers le haut. […] Prenons l’exemple de Noa Besson ou Antonin Plagnat. Quand ils ont de la glace, on s’aperçoit qu’ils sont capables de marquer des buts et de progresser. Mais ce n’est pas en les laissant sur le banc ou en ne les mettant pas sur la liste des joueurs que l’on va avoir une équipe de France de haut niveau. »

Joueur, mais pas que…

En plus de sa carrière de joueur, François Désérable s’est énormément impliqué dans le milieu du hockey sur glace. Il était entraîneur, comme évoqué plus haut, mais également membre du comité du club des Gothiques, secrétaire et délégué régional des arbitres. Il a également pris poste en tant que président du club, membre du comité national de hockey sur glace et président du comité national de hockey sur glace, « deux trois petites choses comme ça ! » Un parcours entamé en 1970 qui ne s’achèvera qu’avec sa prise de recul au début des années 2000. On pourrait même dire qu’il est historien du club avec un fichier, disponible en ligne, retraçant l’histoire de son club, mais il ne serait pas vraiment d’accord avec ce titre.

Les statistiques, un passe-temps à temps plein

Désormais, en retrait par rapport aux Gothiques, François Désérable profite de son temps libre pour faire des statistiques. Pas vraiment une passion, mais plutôt quelque chose qui l’« intéresse au niveau des anecdotes. » Par exemple, l’équipe des Gothiques d’Amiens est celle qui a le plus de distance à parcourir durant une saison, des distances qui peuvent « justifier l’achat de l’autocar couchette confortable ». Curieux de nature, il se plaît à savoir combien de buts ont été marqués contre une certaine équipe durant la prolongation ou encore le record de buts inscrits dans un court laps de temps.

Il possède l’historique des 1600 matchs que les Gothiques ont joué au plus haut niveau, ainsi que les « 5500 ou 5600 buts marqués depuis 1983 ». Toutes ces informations sont regroupées dans un tableau dynamique sur Excel, un « petit tableau qui n’a que 10 000 lignes, bien loin des millions que je manipulais à mon travail (rires) ». Pour lui, ces statistiques ne servent pas seulement à évaluer les performances d’un joueur comme celle du Plus/Minus, qui consiste à évaluer le nombre de présence sur la glace quand il y a un but marqué pour et contre une équipe : « C’est comme cela que l’on voit que le meilleur défenseur d’Amiens est Aleksandar Magovac. Il est à +9, le deuxième est Mathieu Mony, à +7 (le jour de l’interview, ndlr) » De plus, avoir un score négatif peut symboliser une « absence de bagarre sur la glace » ou bien que ces joueurs « ne se donnent pas en défense. Ils ne jouent que sur un côté de la patinoire. » Cependant, cela est à relativiser, car comme le souligne très bien François Désérable, « il faut des passeurs, des buteurs, des défenseurs offensifs et défensifs !« 

Les statistiques ne servent pas non plus à seulement évaluer un impact, « quand vous regardez les sports américains, ce ne sont que des stats’ ! Quel que soit le sport ! […] Le sport, ce n’est que des stats. Une équipe en bat une autre par un score, qui a évolué de telle façon, marqué par tel joueurs, etc… » Le statisticien en herbe regrette que le hockey ne s’en serve pas. Il aimerait que ce volet des mathématiques soit utilisé pour fidéliser le public en donnant, par exemple, « une feuille de papier où il y a les numéros, les noms des joueurs, peut-être le nombre de buts et d’assists. »

Ses souvenirs avec les Gothiques

Bien évidemment, nous avons voulu connaître les plus beaux souvenirs de François Désérable avec son équipe de cœur. Il se remémore la performance face à Dijon, en Nationale B : « On avait gagné 5 à 2, et j’avais inscrit deux buts, en tant que défenseur, c’était exceptionnel ! Les trois autres buts étaient marqués par Dave Henderson, […] cela m’a marqué. » Concernant l’ancienne antre des Gothiques, la patinoire Pierre de Coubertin, il se souvient de la finale de Nationale B contre Briançon : « On entasse 1600 personnes, dans une patinoire de 800 places. C’était dangereux ! » Au sujet de la Nationale 1 : « Il y a eu beaucoup de remontadas extraordinaires, comme contre Saint-Gervais. Ils menaient quatre à un au début du troisième tiers temps, et on l’emporte quatre à cinq ! » L’anecdote qui fait parler, est bien sûr, celle de Moscou, « un sérieux gag cette affaire là ! »

« Les joueurs doivent partir en avion à Moscou. Ils sont à Roissy. Dave Henderson, qui était le coach, demande à Dave Reierson d’aller vérifier à quelle porte il faut se présenter. Il revient et dit : « A 40″. Les joueurs comprennent que l’avion part à 12h40. Or, c’était à 11h et quelques. Une partie des joueurs a embarqué, tous les bagages également. Appel au micro, personne ne fait attention. Il faut trouver un autre avion pour le reste de l’effectif, Air France a été très compréhensif et a permis à l’autre moitié de rejoindre Moscou. Là-bas, il fallait prendre un autre avion pour aller jusqu’au lieu de la rencontre. De plus, sur un match à Moscou, pour rejoindre la patinoire, il fallait prendre un taxi car elle était située dans un stade au milieu d’un parc immense ! Les taxis n’ont pas voulu entrer dans le parc, donc les joueurs y sont allés avec leurs sacs, leurs équipements, faire 2,5km pour aller jusqu’à la patinoire. Des conditions superbes pour jouer contre le meilleur club d’Europe ! (rires) »

Le hockey sur glace s’est installé à Amiens, et a su s’implanter et faire partie de la vie amiénoise. La crosse se plaît ici et François Désérable a plaisir de partager ses anecdotes, l’histoire des autres ainsi que les statistiques surprenantes des Gothiques. Et seulement des Gothiques, car son « cœur est Gothique ».

Cyprien Baude
Crédit photo : Kevin Devigne – Gazettesports.fr

*Interview réalisée le 8 novembre

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