PORTRAIT – Misato Nakamura, une championne du monde à Amiens

Sa venue était un petit séisme dans le monde du judo samarien. Grâce à Lillian Barreyre, le directeur technique régional, un entraînement technique était prévu à Amiens. Et plus de 200 judokas ont répondu présents. Si Amiens était la dernière des cinq destinations en l’espace de cinq jours, pas moins 1000 judokas se sont présentés pour assister à chacun de ses entraînements, car Misato Nakamura fait partie des grands noms du judo. Trois titres de championne du monde en -52 kg, médaillée olympique à deux reprises, ou encore sixième dan, à 35 ans, son palmarès est impressionnant. Quand on propose de profiter de ses conseils, on ne peut dire non.

Elle se présente tout simplement : « Je suis Nakamura Misato, une judokate japonaise. » Accompagnée de Lillian Barreyre, directeur technique régional (DTR) et, pour l’occasion, traducteur, l’athlète japonaise a accepté de revenir sur certains moments de sa carrière. D’une voix posée et avec beaucoup d’humilité, elle évoque les Jeux de Pékin de 2008. « C’était mes premiers Jeux olympiques. C’était une douleur profonde, car j’ai perdu. J’ai fini troisième (ce qui est considéré comme une défaite au Japon, ndlr), mais c’est grâce à cette défaite que j’ai pu aller chercher les ressources pour continuer à m’entraîner avec l’envie de progresser dans le judo. » Elle ne cache pas que ce résultat décevant lui a forgé son caractère et son envie de gagner. « C’est après ces Jeux olympiques que j’ai commencé à faire de grosses performances. Je remporte les championnats du monde, puis j’enchaîne les résultats. Avant les JO, je n’avais fait aucune performance. »

Suite à cette médaille de bronze en 2008, elle remporte les championnats du monde en 2009 à Rotterdam, puis l’argent en 2010 à Tokyo, l’or à Guangzhou à l’occasion des Jeux asiatiques et enfin trois médailles d’or (championnat du monde à Paris (2011), Jeux asiatiques à Incheon (2014) et les championnats du monde à Astana en 2015). Sa dernière compétition internationale sont les Jeux olympiques de Rio, en 2016, où encore une fois elle repart avec la médaille de bronze après sa défaite en demi-finale contre la future championne Majlinda Kelmendi. Concernant son palmarès par équipe, elle remporte le bronze aux championnats du monde par équipes en 2006, l’or en 2008 à Tokyo et enfin l’or de nouveau pour les Jeux asiatiques à Incheon, six ans plus tard.

En parlant de son statut de vice-championne en 2010 et de championne en 2011, un nom vient naturellement : Yuka Nishida. Cette dernière gagnait son affrontement face à Misato Nakamura en finale en 2010, avant que celle-ci ne prenne sa revanche l’année suivante. La judokate nippone revient sur ses nombreuses confrontations avec sa compatriote : « Yuka Nishida était une de mes rivales. Bien évidemment, j’avais plusieurs adversaires et partenaires d’entraînement, mais à force de se retrouver en finale face à elle, on essayait de prendre le dessus sur l’autre et on progressait mutuellement, petit à petit. Cela nous a aidées à devenir de meilleures judokates. »

En abordant le sujet de sa passion pour le judo, on peut vite se rendre compte que ce n’était pas la première discipline qu’elle envisageait : « Je voulais faire des sports de combat. Je suis partie sur des disciplines avec des sacs de frappes, mais ma mère ne voulait pas que je donne des coups. » Outre la demande familiale, un élément visuel avait capté son attention : « J’ai beaucoup aimé voir des petits projeter des grands costauds. » Une vision marquante qui finissait de convaincre cette athlète, qui débutait alors sa pratique.

Désormais loin des tatamis dans le cadre de la compétition, Misato Nakamura a pris du recul, avec un poste au sein de la fédération japonaise où elle s’occupe du développement du judo féminin. En plus de cette casquette, elle représente également des athlètes de haut niveau. Concernant sa présence au Grand Slam de Paris, qui se tenait les 1er et 2 février, les nouvelles règles d’arbitrage étaient un point particulièrement scruté. Pour la triple championne du monde, ces dernières « ne changent pas grand-chose. » Ce tournoi, elle y a déjà participé, et à cette époque, quelque chose l’avait marquée : l’ambiance. Lillian Barreyre précise que cet aspect, plus que le nombre de spectateurs, est quelque chose que remarquent les judokas nippons. Elle ajoute : « C’est toujours impressionnant de voir l’ambiance et le monde présent dans les tribunes. Je l’avais déjà vécu en tant que judokate, mais même en tant que spectateur, cela reste impressionnant. Ça me fait extrêmement plaisir de voir un endroit où le judo est populaire. »

Durant la dernière décennie, au sein des compétitions mixtes, l’affiche France-Japon est devenue un classique des phases finales. Si les championnats du monde vont aux Japonais, les Français préfèrent les Jeux olympiques. Une rivalité saine commence à naître entre les deux pays où le judo peut remplir des stades : « C’est une très belle rivalité. À l’image de celle que j’avais avec Nishida, où l’on progressait, cette rivalité entre la France et le Japon fait progresser et avancer chaque pays. C’est très bien. » Une des images fortes de ces confrontations est la tristesse de Tatsuru Saito, en finale des JO. Sa défaite au golden score contre Teddy Riner l’avait fait fondre en larmes. Il avouait ne pas penser pouvoir rentrer au Japon. Cependant, ce jeune homme de tout juste 22 ans est promis à un grand avenir, et Misato Nakamura en profitait pour donner quelques nouvelles : « Il est actuellement en réathlétisation, suite à une opération. Je pense que cela doit être extrêmement difficile pour lui. Il a perdu en individuel et en équipe, c’est compliqué. Mais je pense qu’il va revenir fort et se préparer pour les prochains Jeux olympiques. »

Lors de sa démonstration au Dojo Michel Bourgoin, tous les regards étaient concentrés sur elle

Misato Nakamura constate un changement au sein de la pratique du judo, notamment concernant les participations à des tournois en-dehors de l’archipel : « Par rapport à mon époque, les Japonais sortent moins pour participer à des compétitions internationales. On avait beaucoup plus d’expérience contre les judokas étrangers, mais ça va aller. Ils vont bien progresser et ils arriveront à atteindre de bons résultats. » Dans les années 70 et 80, les judokas japonais ne sortaient de leur terre que pour de rares occasions, comme le confie Lillian Barreyre : « Un combattant était champion du Japon, sortait face au monde et devenait champion du monde, malgré son absence de connaissance du judo étranger. » Si cette absence de voyage à l’époque ne pénalisait pas vraiment les Japonais, ce n’est plus le cas actuellement. Malgré des résultats encore positifs (avec huit médailles aux JO de Paris, trois en or, deux en argent et deux en bronze, le Japon est la deuxième nation la plus médaillée), des plus petits pays commencent à progresser à vive allure, comme le Kosovo, le Turkménistan ou encore le Kirghizstan.

Cette progression de ces pays provient d’un schéma assez simple : un enchaînement de compétitions et de stages. Quelque chose de facile à réaliser en Europe, mais très compliqué à mettre en place au pays du soleil levant. Quitter l’archipel coûte cher, car obligatoirement en avion, et les temps de trajets sont longs. Il est sûr que si le pays prospérait financièrement pour financer de nombreux stages, le Japon deviendrait une véritable forteresse grâce à son vivier de talents importants et à une expérience accrue. Mais avec des si, on coupe du bois. De plus, le Covid n’a pas aidé, car l’archipel s’est retrouvé coupé et isolé pendant plusieurs mois. Le constat est assez simple : la confrontation aux autres types de judo enrichit et fait progresser dans des secteurs que l’on ne travaille pas forcément à domicile, cela vient compléter les connaissances. C’est quelque chose que le DTR constate grâce au tournoi de Harles, qui attire beaucoup de monde : « Aujourd’hui, ils [le lycée japonais] sont vraiment en train d’exploser au Japon et toutes ces expériences ici leur servent. Ils ont été vice-champions du Japon par équipes. C’était leur première médaille et tout le monde est unanime : ils progressent très fort. »

Quoi qu’il advienne, le Japon reste une terre de pèlerinage pour les judokas. Chaque année, le nombre de pratiquants augmente et certains noms commencent à se faire une place sur le devant de la scène. Il faudra toujours compter sur cette nation pour sortir des judokas de très haut niveau, à l’image de Misato Nakamura. En conclusion, sur ce qu’elle a aimé durant ce séjour en France, elle répond en esquissant un petit sourire : « J’aime les croissants, et le fait que beaucoup de monde adore le judo. »

Cyprien Baude
Crédit photo : Léandre Leber – Gazettesports.fr

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