ARBITRAGE – HANDBALL : Un binôme féminin en route vers l’Élite masculine
Mathilde Duée et Clémentine Leclercq forment un binôme d’arbitres féminin des Hauts-de-France aujourd’hui reconnu nationalement. Mais grimper ensemble jusqu’à la Proligue masculine (D2) et à l’Élite féminine n’a pourtant pas toujours été facile…
“Sur le terrain, nous sommes les arbitres, avant d’être perçues comme des femmes.” Quand Clémentine Leclercq, la plus grande du binôme, assène son ressenti, on devine que les deux amies tiennent là, sans doute, leur plus belle victoire… Car tout n’a pas été simple pour Mathilde Duée, l’aînée – 36 ans – et sa cadette Clémentine Leclercq, “35 ans déjà, depuis quelques semaines.”
Leurs débuts au sifflet, ces deux Nordistes les ont effectués, chacune de leur côté, il y a quinze ans. “On avait 20 et 21 ans, raconte Clémentine. Je jouais arrière en Nationale 3, à Maubeuge – Val de Sambre et Mathilde au niveau au dessus, à St-Amand-les-Eaux.” Et ce sont des concours de circonstances qui les amènent à l’arbitrage. “Mon équipe allait être reléguée, alors que c’était l’inverse pour Mathilde. Et avec la montée en N1, elle qui jouait ailière avec son petit gabarit (sourire) n’était pas sûre d’avoir encore sa place…”
“Nous sommes assez différentes alors à chacune son rôle”
Clémentine Leclercq
“On voyait bien qu’il y avait un manque d’arbitres, indique Clémentine Leclercq. Alors il a fallu faire un choix ». Et donc une croix sur la carrière de joueuse : « Nous nous connaissions juste comme adversaires et nous avons commencé à arbitrer ensemble en Régionale. D’abord des filles et très vite des matchs masculins. Pour valider notre grade régional, nous avons eu des suivis, seule. Et c’est ensuite que nous avons vraiment formé notre binôme. D’ailleurs, lors de notre première désignation pour arbitrer ensemble, on s’était dit la même chose : oh non ! Pas elle !!!”
Une boutade ? Pas si sûr car les deux femmes sont “assez différentes mais donc au final complémentaires, analyse Clémentine Leclercq. On dit que je suis plus ouverte. Ce qui est sûr, c’est que nos rôles sont clairement attribués. C’est par exemple toujours moi qui donne le coup d’envoi pendant que Mathilde est en zone. Et c’est toujours elle qui clôt la feuille de match, pour vérifier le nombre de buts de chaque joueur, par exemple. Peut-être parce qu’elle est très rigoureuse !” Car dans le handball comme dans tous les sports, les fameuses stats prennent de plus en plus d’importance.
Les pires réflexions sexistes viennent de spectatrices !
Évidemment, l’osmose qu’elles affichent aujourd’hui n’est pas née du jour au lendemain. “Il a fallu apprendre à travailler ensemble, explique la cadette du duo. La base, c’est que si on n’est pas d’accord sur une décision prise, on ne dit rien, on ne le montre pas, on s’y tient ! Mais depuis trois ans, les oreillettes nous aident bien.” Cette solidarité n’est pas de trop quand elles sont deux au milieu de quatorze gaillards, sans parler des bancs de touche avec entraîneurs et remplaçants. Ou encore du public…
“Franchement, avec les joueurs, les clubs, ça va” se félicite Clémentine Leclercq. « On a par exemple l’habitude de venir arbitrer à Amiens.” Mais c’est dans le public que surgissent parfois les pires réflexions. “En 2021 encore, on peut avoir des remarques misogynes. Récemment, en Proligue (le 2ème niveau national masculin), on en a entendu, venant des tribunes. Et de la part d’une femme…”
Coach mental et préparateur physique
Mathilde Duée et Clémentine Leclercq mesurent la chance, à ce sujet, d’être l’un des cinq binômes d’arbitres de handball, en France, suivis par un coach mental, en plus d’un préparateur physique de la FFH. “Pour des questions d’organisation, de frais et de disponibilités, sans parler des contraintes Covid, presque tout se fait à distance. Mais c’est efficace. On acquiert par exemple des techniques de respiration, pour passer à autre chose”, après un fait de jeu tendu. Justement, pour désamorcer les tensions dans un match messieurs, rien de tel qu’un binôme d’arbitres féminin, à en croire Clémentine Leclercq : “certains joueurs nous disent que notre présence apaise les esprits.” Aujourd’hui, 80% des rencontres qu’elles arbitrent sont masculines. Et elles tiennent, comme le dit Clémentine, à ce que ce soit “nos compétences qui priment, pas le fait d’être des femmes.”
La grossesse de l’une pousse l’autre sur la touche…
Mais en 2016, leur binôme a bien failli voler en éclats. “Je suis tombée enceinte, raconte Clémentine. Je ne l’ai pas dit au début et ça allait, c’était juste avant l’intersaison.” Mais à la reprise des championnats, le congé maternité de Clémentine laisse Mathilde comme orpheline : “Elle n’a plus été sollicitée pour arbitrer au niveau national” déplore celle qui est aujourd’hui maman d’un petit garçon “qui aura 5 ans le 7 janvier. Deux mois jour pour jour après sa naissance, j’étais de retour sur le terrain, avec Mathilde bien sûr !”
Mère de famille et investie dans le sport de haut niveau, cela donne des journées bien remplies. Surtout que Clémentine Leclercq a en plus une vie professionnelle : “Je suis prof d’Espagnol, en lycée” confie celle qui réside près d’Hazebrouck et dont le conjoint est également arbitre de handball. Tandis que Mathilde est responsable du service jeunesse d’une commune du Valenciennois. Une petite centaine de km les séparent mais “quand on est désigné sur un match, on y va toujours ensemble ! C’était par exemple le cas ces derniers week-ends pour aller à Caen et à Besançon. On limite les frais, on en profite pour échanger sur nos vies personnelles et aussi pour voir comment améliorer la place des femmes dans l’arbitrage de notre sport” rajoute Clémentine Leclercq, qui représente à la Fédération le pôle féminisation de la Ligue des Hauts-de-France.
Une présence dans les instances certes, mais les deux pieds quand même plus que jamais sur le terrain ! Car ce serait dommage de s’arrêter en si bon chemin… “Quand on a débuté, on se disait que ce serait top d’arbitrer un jour en Nationale 1 (le 3ème niveau), se souvient Clémentine Leclercq. À présent, nous arbitrons au plus haut niveau national féminin, la Ligue Butagaz Energie. Et en Proligue masculine, la D2. Notre nouvel objectif, c’est la Liqui Moly Starligue, l’élite masculine française, où, pour le moment, un seul binôme féminin officie.”
Car hélas, sauf coup de théâtre, le binôme féminin ch’ti ne pourra pas accéder à une carrière internationale : “Je crois bien que la limite d’âge est de 30 ans” regrette Clémentine. Alors pour permettre à de jeunes handballeuses d’aller encore plus haut qu’elles, Clémentine Leclercq “souhaite que les clubs accompagnent vraiment les jeunes, dès 15-16 ans, vers l’arbitrage. Car en plus cela donne de l’assurance dans la vie. On avait du mal à se mettre en avant dit-elle, avant de marquer… un temps mort. Et de reprendre, preuve que rien n’est acquis : nous sommes toujours en situation d’apprentissage.”
Vincent Delorme
Crédit photos : Gazettesports.fr Léandre Leber