PORTRAIT : Moto, vélo, boulot
Créée en 1978, l’Association Cycliste Amiénoise est réputée dans la région pour être un club formateur qui a sorti des coureurs comme Corentin Ermenault. Hervé Rougier, son trésorier adjoint, est aussi un motard émérite, spécialiste de la sécurisation des courses sur route.
À tout juste 59 ans, en cette mi-mai, il a déjà le teint halé des baroudeurs… Baroudeur du peloton comme on surnomme les coureurs habitués aux échappées. Lui passe la plus grande partie de son temps, quand il suit une course cycliste, intercalé entre le peloton et les échappés, sous son casque et derrière ses lunettes noires, au guidon de sa moto. Hervé Rougier fait partie de ces maillons indispensables du cyclisme mais que l’on ne voit pratiquement jamais à la télé ou sur les photos.
Et pour cause : il transporte photographes, caméramen, ardoisiers, commissaires de course ou encore commentateurs. « On essaye toujours de se mettre là où il n’y a pas de caméra. Par rapport aux moto télé, il faut essayer de ne pas couper le champ, ils détestent ça ! Mais c’est vrai qu’ils ont un énorme boulot. Ils essayent d’avoir les meilleures images, le point de vue le plus sympa… C’est plus facile sur un circuit, comme pour les championnats de France, que sur le Tour de France, parce qu’ils ont le temps de repérer. Alors je vais les voir quand je transporte un ardoisier par exemple (NDLR : la personne qui indique, sur un tableau (une ardoise), aux coureurs échappés leur avance sur le peloton). Et je leur demande à quelle heure commence le direct. Je demande au cadreur de quel côté il filme, comme ça je sais si sa moto va plutôt rouler à gauche ou à droite et je me positionne du mieux possible pour ne pas les gêner. Et ensuite, en course, entre motards, on se fait des signes, on se comprend. »
Et si l’on compte non plus un mais deux ardoisiers sur les courses importantes, c’est à lui qu’on le doit : « un jour, j’ai dit à mon ami Marc Tilly, président de la commission Route à la FFC, que ce serait mieux. Une ardoise au peloton et l’autre aux échappés. Pour éviter les navettes incessantes, éviter de rester à l’arrêt quand l’écart est important ou de tailler la route pour remonter à l’avant à toute allure. On a essayé aux championnats de France à St Omer (en 2017, remportés par le Picard Arnaud Démare) et j’ai trouvé ça magique » s’enflamme Hervé Rougier ! « Du coup, sur Paris-Chauny, maintenant il y a deux ardoises aussi. »
Curieux, patient et humble
Il se rend compte qu’il a réalisé son « vieux rêve de gamin, car j’ai toujours été attiré par le Tour et en même temps la moto m’a toujours fasciné. On peut devenir un bon motard sur les courses sans avoir été coureur – ce qui est mon cas, je suis un modeste cyclotouriste – mais à condition d’être curieux, patient et humble. J’adore comprendre et découvrir ce que je ne connais pas. Ensuite, ça prend du temps de comprendre le fonctionnement d’un milieu. Et puis l’humilité, parce que même après des années, on n’est jamais à l’abri de commettre une erreur.
Avec chaque personne que je transporte régulièrement, il y a des codes qui se mettent en place et souvent des affinités qui se créent. Un commissaire de course, beauvaisien, très costaud, dès qu’il bouge, il serre les genoux, pour se sécuriser et il pivote. Alors que d’autres se retournent sans prévenir et tu sens bien la moto bouger… »
La sécurité est le leitmotiv d’Hervé Rougier : « il faut du sang-froid. Exemple, quand j’interviens à l’avant de la course, pour vérifier qu’il n’y a pas de voitures qui arrivent à contre-sens, déjà on essaye d’avoir suffisamment d’avance pour avoir le temps d’expliquer aux gens pourquoi on les arrête. Pour votre sécurité, on vous demande de vous garer. Comme le font les forces de l’ordre, si tu as quelqu’un qui s’énerve, pas de surenchère ! Ne pas engueuler les gens. Et si l’automobiliste veut quand même passer, je lui dis : il y a un arrêté qui a été pris, la circulation est coupée le temps de la course, si vous redémarrez, les gendarmes vont vous arrêter. Et si jamais vous prenez un coureur sur le capot, vous allez terminer votre week-end à la brigade… »
La hantise des responsables de la sécurité, ce sont souvent les descentes. « On fait en sorte qu’elles soient vierges de tout véhicule. Si une voiture est engagée, elle voit les gendarmes et leurs lumières bleues, elle va s’arrêter. Sauf qu’elle va se retrouver immobilisée face aux coureurs qui déferlent à toute allure. Alors, sur les trois motards de la sécurité, un s’arrête et attend à un endroit où on peut garer les voitures proprement, un autre en bas te prévient des voitures qu’il a croisées. Et moi, en haut, je sais que quatre voitures arrivent mais qu’on va avoir le temps de les faire garer comme il faut » sourit-il.
Briefing sécurité zappé ? Pas de panier-repas !
« Le Grand Prix de la Somme, avec PSP (NDLR : Promotion Sport Picardie) qui l’organise, ils ont un motard qui s’occupe de la vision sécurité du parcours. Il l’a reconnu. Souvent, deux semaines avant, on se prend un samedi après-midi et on fait le parcours ensemble. Il nous le commente : là, il y aura des ballots de paille, là non, donc attention ! La Préfecture est de plus en plus exigeante. Des courses sont annulées faute de signaleurs ou d’accord des maires des communes traversées. Si le maire ne prend pas d’arrêté municipal, la Préfecture peut refuser l’autorisation. »
« Sur Paris-Chauny, il y a un briefing sécurité avant. Certains le zappent, se disant que c’est toujours la même chose et comme cette fois, c’était là où on nous indiquait où trouver nos paniers-repas sur le parcours, eh bien ils n’ont pas mangé ! Moi, j’aime bien faire la nounou, par exemple quand je transporte Patrick Pichon, photographe de la Fédération ou Damien ou Marion, les commentateurs des championnats de France. J’ai fait placer les paniers-repas à un endroit précis et quand il veulent manger, je sais où m’arrêter. Même chose avec le régulateur : à l’arrivée, il doit faire la dérivation pour que les voitures suiveuses ne franchissent pas la ligne, il n’a pas le temps d’aller chercher son repas, c’est son pilote qui lui apporte.
Le boulot et les responsabilités ne sont pas les mêmes au Grand Prix d’Isbergues que sur une cyclosportive
Hervé Rougier n’est pas du genre à compter ses heures ni les kilomètres mais toute peine mérite salaire. « Quand l’organisateur est mon club, je le fais bénévolement. Sinon je suis défrayé pour le trajet aller-retour et les km en course, vu que c’est ma moto. Et il faut compter 100 € pour la journée. La qualité de la prestation a un prix, le boulot et les responsabilités ne sont pas les mêmes au Grand Prix d’Isbergues que sur une cyclosportive où l’on s’arrête aux stops ! Un peloton pro, ils savent rouler, c’est facile. Je parle aux coureurs gentiment, ils se poussent pour laisser passer la moto. C’est un emmerdement pour eux mais ils savent qu’il vaut mieux que la moto sécurité soit devant, pour qu’elle les prévienne du danger. Sur le Tour de France, c’est la Garde Républicaine qui fait les drapeaux jaunes, pour signaler les dangers, comme un îlot directionnel, donc autant qu’ils soient devant les coureurs. Mais les courses juniors et les championnats de France de l’Avenir, c’est plus dur, les coureurs sont tout excités, avec une pression terrible. J’ai déjà vu des chutes entre le départ fictif et le départ réel tellement ils se bousculent ! »
Et face à la crise du bénévolat, il existe des associations de signaleurs, comme l’ACAP (NDLR : Aisne Courses Assistance Picardie) : « quand ils sont sur une course, ils sécurisent un secteur donné puis ils montent en voiture et rejoignent un autre point précis, c’est bien pratique quand une commune n’a pas de signaleurs. Ces signaleurs touchent un forfait à la journée. »
Et sous son casque, notre motard cycliste possède une autre casquette : « je suis aussi teneur. Celui qui maintient les cyclistes sur le podium départ des contre la montre. Aux derniers championnats de France, à Épinal, une concurrente que je sentais très très nerveuse, quand elle a démarré, elle a basculé avec son vélo qui s’est couché sur les cellules de chronométrage ! Rien de grave, on l’a remise en selle et elle est partie. Je ne suis pas là pour les soutenir, juste les tenir. Après la première fois, je suis revenu, j’avais aux mains les marques profondes des rails des selles. Alors depuis, je maintiens surtout les vélos serrés entre mes jambes et comme les coureurs sont souvent super bien équilibrés, je les lâche et, hop, ils partent ! »
Samarien et amiénois d’adoption, Hervé Rougier a forcément développé des liens avec de nombreuses figures locales du cyclisme. Comme avec la famille Ermenault, le père Philippe, champion olympique de poursuite par équipes à Atlanta, en 1996. L’année de naissance de son fils Corentin, parrain de l’AC Amiénoise, son club formateur, récent double médaillé d’or à la Coupe des Nations, en poursuite, mais aussi champion paralympique l’an dernier à Tokyo (comme pilote valide d’Alexandre Lloveras). En 2021 également, Corentin Ermenault s’est classé 3ème du chrono des championnats de France amateurs sur route. Une dernière performance qu’Hervé Rougier a vécue de près : « à 45 secondes de son départ, il était assis en bas du podium départ, il n’avait pas encore son vélo. Et ensuite il a fait son chrono à bloc ! »
Vincent Delorme (avec Julie Michel)
Crédit photos : DR, Mathilde Clouard, echoduvelo.com, Jérome Photo